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L’alimentation du soldat allemand sur les fronts d’Alsace

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L’alimentation du soldat allemand sur les fronts d’Alsace Empty L’alimentation du soldat allemand sur les fronts d’Alsace

Message par scoubidou57 Jeu 9 Mai - 13:28

L’alimentation du soldat allemand sur les fronts d’Alsace
et de Champagne à travers l’approche archéologique des dépotoirs
de la Première Guerre mondiale


Résumé : La Première Guerre mondiale est à l’origine de bouleversements majeurs dans l’alimentation.
La zone de combat devient pour la première fois le lieu de vie du combattant pendant une longue
durée. L’alimentation du soldat a rarement fait l’objet d’études spécifiques d’une part en raison d’une
présupposée bonne connaissance ou au contraire d’un manque de documentation. Son évocation dans
les témoignages des soldats eux-mêmes est trop souvent fragmentaire et anecdotique, même si celle-
ci joue un rôle non négligeable dans la lutte pour la survie quotidienne. La recherche concernant
l’alimentation sur le front en est à ses balbutiements et l’étude des objets qui lui sont liés mérite
une attention particulière. Ces derniers contiennent une quantité d’informations encore largement
inexploitées. À travers des objets issus de dépotoirs d’Alsace et de Champagne-Ardenne, une
première approche a pu être menée pour les troupes allemandes à travers plusieurs problématiques,
telles que l’approvisionnement de l’industrie à la « roulante », l’emballage et le conditionnement
avec l’importance de la figuration patriotique, l’apparition d’une nourriture adaptée allant vers une
autonomie alimentaire du combattant ou la gestion des déchets avec la récupération des matériaux.

Introduction
Cette étude, qui s’inscrit dans le cadre général de la prise en compte récente des vestiges de la
Première Guerre mondiale, a pour objectif de présenter une première synthèse des résultats issus
de l’étude archéologique d’objets provenant de structures militaires ou de dépotoirs allemands de la
Première Guerre mondiale 1 .
La Première Guerre mondiale entraîne des bouleversements majeurs dans l’organisation d’un
conflit armé à travers l’immense organisation humaine et matérielle s’établissant progressivement en
profondeur. Le quotidien des combattants est rythmé par les séjours sur le front dans les tranchées et
les périodes de repos à l’arrière. À l’ouest, des millions d’hommes vont être équipés et approvisionnés
sur une bande étroite et surpeuplée, d’une longueur de plus de 600 km s’étendant de la mer du
Nord jusqu’à la Suisse. Ce front était desservi par un incroyable réseau de voies de communication
(routes, chemins, voies ferrées, téléphériques, tranchées, boyaux...). Au regard du combattant, le
ravitaillement est une nécessité quotidienne, mais aussi un appui matériel et moral. Le soldat doit
tenir la ligne de feu dans des conditions extrêmes en maintenant des liens avec l’arrière. La nourriture
y joue un rôle prédominant, à l’instar des colis, des courriers et des journaux. En temps normal, le
soldat situé en première ligne est alimenté par une corvée, approvisionnée par une cuisine fixe ou
roulante 2 , mais l’autonomie alimentaire du combattant peut également être sollicitée et garantie. Les
(1) En France, l’archéologie de la Première Guerre mondiale apparaît à la fin des années 1980 dans le Nord-Pas-de-Calais puis en
Lorraine et en Champagne-Ardenne (Desfossés et alii 2000, 2007, 2008 ; Adam 2006 ; Adam et Prouillet 2009). Pour l’Alsace,
les premières études ont été menées à la fin des années 2000. Plusieurs colloques ont récemment tenté de faire le point sur
ces questions. Table-ronde de Paris en 1995 : Une archéologie du passé récent ? Colloque de Péronne (Somme) en 1997 :
L’archéologie et la Grande Guerre 14-18. Colloque de Suippes (Marne) et Arras (Pas-de-Calais) en 2007 : Quelle archéologie
pour les traces de la Grande Guerre ? Colloque de Caen (Calvados) en 2008 : Archéologie et conflits armés des XIX e -XX e
siècles. Archéologues et Historiens face aux vestiges des guerres.
(2) L
 a cuisine roulante, cuisinière mobile montée sur roues permettant la livraison de nourriture chaude (Feldküchen), est appelée
« canon à goulash » (« Gulaschkanone ») ou « canon anti-faim » (« Hunger Abwehr Kanone ») par le troupier allemand
(Fombaron et Horter 2004, p. 245).

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Fig. 1 : Bouteilles de bière et d’eaux minérales provenant de Geispolsheim (Bas-Rhin) (Photos de DAO : I. Dechanez-
Clerc, PAIR). A : Au premier plan, bouteilles d’eaux minérales et au second plan bières strasbourgeoises.
B-H : Capsules de bières strasbourgeoises. I-K : Capsules d’eaux minérales bas-rhinoises. L : Capsule de Chabeso.

contenants alimentaires, qui se sont massivement imposés dans la société de consommation actuelle,
conditionnaient en grande partie le délai de consommation des aliments 3 .
L’alimentation du combattant produit des quantités considérables de déchets qui ont très rarement
fait l’objet d’étude. Le dépotoir enterré est une structure riche en informations qui permet d’établir
une véritable « photographie » du quotidien. Il résulte du stationnement temporaire de troupes sans
cesse renouvelées. Leurs tailles varient selon la proximité des tranchées. Sur le front, ils sont petits,
peu compacts et souvent mélangés au sédiment évacué à l’arrière de la tranchée 4 . Dans les camps de
repos, au contraire, l’emplacement du dépotoir est défini et le remplissage révèle souvent un certain
ordonnancement, voire une affectation par unité. Les fosses les plus importantes atteignent parfois
plusieurs mètres cubes. Une signalétique peut même parfois avoir été mise en place 5 .
Les objets liés à l’alimentation retrouvés dans les dépotoirs, appartiennent à trois grandes
catégories : les boissons, les aliments d’origine animale et ceux d’origine végétale. À partir
d’exemples provenant d’Alsace (Landolt et alii 2008, 2009, à paraître) et de Champagne-Ardenne
(Lesjean 2008) 6 , le potentiel documentaire de chaque catégorie d’objet sera présenté et plusieurs
problématiques d’étude pourront être proposées pour le développement ultérieur de la recherche.
Pour l’Alsace, les exemples proviennent de la position fortifiée allemande de Geispolsheim (Bas-
Rhin), liée à la défense de Strasbourg entre 1914 et 1916, et de dépotoirs datés de 1917/1918 retrouvés
sur la première ligne de front allemande dans le Sundgau à Aspach-Carspach (Haut-Rhin).

1. Les boissons
Le vin et la bière
Les boissons alcoolisées sont nombreuses. Elles étaient généreusement distribuées dans les
compagnies ou achetés par les hommes avec leur argent personnel pour aider le combattant à
supporter les rudes conditions de la guerre et de la vie militaire 7 . Contrairement à l’idée reçue, le vin
n’a pas toujours été la boisson la plus fréquente et, au début de la guerre, le règlement l’interdit.
Dans un contexte brassicole européen ayant atteint son apogée à la fin du XIX e siècle, les dépotoirs
montrent que la consommation de bière est plus élevée dans les lignes allemandes que dans les
lignes françaises (Lesjean 2008, p. 54-55). De petites brasseries sont même installées spécifiquement
à l’arrière pour approvisionner les cantines. La bière, largement distribuée à l’arrière, alourdie
considérablement le paquetage.
L’étude des provenances des bouteilles retrouvées dans les dépotoirs montre que les bouteilles
de bière émanent principalement des territoires allemands ou des pays envahis. À Aspach-Carspach,
les bières consommées proviennent d’Alsace (« Schutzenberger » et « Hoffnung » à Schiltigheim et
Mulhouse), du Bade-Wurtemberg (Stuttgart) et de Basse-Saxe (« H. Klostermann » à Oldenburg). À
Geispolsheim les brasseries strasbourgeoises sont très bien représentées (« Prieur », « Schutzenber-
ger », « Münsterbräu », « Freysz », « Gruber », « Fischer », « Stadt Paris »...) (Fig. 1, A-H). Les prove-
nances s’expliquent d’abord par la proximité des lieux de production, comme à Geispolsheim, mais
l’étude du lien éventuel entre les provenances des troupes et celles des bouteilles retrouvées dans les
dépotoirs reste à entreprendre. Enfin, certaines interrogations demeurent sur la présence de bouteilles
portant des inscriptions étrangères retrouvées sur le front champenois 8 , en particulier celles provenant
d’Afrique du Sud (« Property of the South African breweries L[imi]t[e]d [Liability]») 9 ou d’Amérique
latine comme le Paraguay (« Cerveceria Alemana Paraguay - Asunción ») 10 ou le Venezuela (« Cerve-
cería Nacional - Caracas - 1/3 litro - Gran premio : San Luis 1904-Turin 1912 ») 11 .
(3) Les contenants alimentaires peuvent être en métal, en verre, en faïence, en porcelaine, en grès et en matériaux plus léger et
périssables comme le tissu ou le papier.
(4) À Aspach-Carspach (Haut-Rhin), un trou d’obus a été réutilisé en dépotoir (Landolt et alii 2009, p. 33).
(5) La découverte sur le front champenois d’une plaque en ardoise peinte indiquant « fosse dépotoir de deuxième section »
(« Müllgrube II. Zug. ») précise l’affectation de la structure au plus petit échelon de l’organisation de l’infanterie allemande
(Lesjean 2008, p. 30).
(6) Une étude du même type a pu être réalisée pour le camp de prisonniers de la Première Guerre mondiale de Quedlinburg en
Allemagne (Saxe-Anhalt) (Demuth 2006).
(7) Des scènes de distribution et de consommation de vin par les troupes allemandes en Alsace à l’arrière sont reproduites dans
Ehret 1988, p. 140-141, fig. 186-187.
(8) La présence de bouteilles de ce type serait attestée sur le front vosgien (information Jean-Claude Fombaron).
(9) « Propriété des brasseries d’Afrique du Sud, société à responsabilité limitée. »
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Fig. 2 : Bouteilles à bille (Photos et DAO : M. Landolt et F. Lesjean). A : Soldats saxons au repos en Champagne pendant
la bataille des Monts de Champagne en avril 1917 avec des bouteilles à bille (collection privée). B : Bouteille à bille
portant l’inscription « Las Leonas » originaire de Lima au Pérou provenant du front champenois (collection F. Lesjean).
C : Bouteille à bille portant l’inscription « Gazoza C. U. V. » originaire de Bahia au Brésil provenant du front champenois
(collection F. Lesjean). D : Bouteille à bille portant l’inscription « Adsella » provenant du front champenois
(collection F. Lesjean). E : Bouteille à bille provenant d’Aspach-Carspach (Haut-Rhin).

Les alcools forts
Les témoignages de combattants rapportent de larges distributions d’alcool fort, notamment
avant les assauts (Lesjean 2008, p. 59-61). Ces alcools, servis gratuitement et en abondance, ont la
réputation d’être de mauvaise qualité, de sorte que certains combattants refusent de les consommer.
Cependant, le soldat apprécie de disposer d’une petite réserve, car la consommation quotidienne de
Schnaps est bien ancrée dans les mœurs d’avant-guerre, surtout à la campagne. Le recours à ce type
de boisson aide à supporter les mauvaises conditions climatiques et s’utilise comme remède aux petits
maux de santé. Tout en régulant sa consommation, l’armée veille à ce que les combattants disposent
toujours d’un minimum d’alcool. Le combattant allemand peut se procurer à la cantine de petites
flasques épousant les poches de sa veste, le bouchon creux servant parfois de dé à boire. Ce type
de récipient, fréquemment retrouvé dans les dépotoirs, peut porter des motifs patriotiques (soldat,
croix de fer, portrait du Kaiser, d’Otto von Bismarck ou du maréchal Paul von Hindenburg...) et des
inscriptions (« Prosit Kamerad ! », « Sensenmann hinweg mit Dir ! Besser Schnaps als schlechtes
Bier ! » ... 12 ).
Les cruchons en grès, d’utilisation traditionnelle dans les pays germaniques, sont largement
diffusés. Ils pouvaient contenir de l’eau de vie (Schnaps) ou des eaux minérales
L’eau minérale
Au début du XX e siècle, l’Allemagne est l’un des plus grands producteurs d’eau minérale
embouteillée dans le monde. Elle est traditionnellement conditionnée dans des cruchons en grès
(Krüge), apparus au XVIII e siècle. Ce type bouteille est de plus en plus contesté. Ainsi, en 1916, un
détracteur évoque leur poids trop important lors du transport, les nombreux défauts de fabrication
invisibles qui fragilisent le cruchon, les difficultés de nettoyage à cause de l’opacité du récipient et le
problème de la dilution dans l’eau des restes de sel utilisé lors de la fabrication du grès (Eisenbach
2004, p. 175 d’après Winckler 1916). C’est pourquoi les cruchons en grès sont délaissés au profit
de bouteilles en verre, mais les deux types de récipients restent utilisés pendant toute la durée du
conflit. Plusieurs systèmes de fermetures de bouteille en verre coexistent jusqu’à la Première Guerre
mondiale (capsule en porcelaine avec poignée ou levier métallique, capsule dentelée métallique,
capsule métallique à vis, capsule métallique à fil et bouchon à visser) 14 . À partir de 1916, la capsule
couronnée métallique à vingt-quatre dents, plus simple que la fermeture à bouchon de porcelaine,
équipe progressivement de plus en plus de bouteilles (eaux minérales et bières) 15 . Le décapsuleur
devient alors un outil nécessaire du combattant.
En 1909, il existait en Allemagne au moins 152 entreprises autonomes d’embouteillage et
d’expédition d’eau (Eisenbach 2004, p. 156-161) 16 . La production annuelle allemande d’eau
embouteillée s’élevait à plus de 100 millions de bouteilles en 1914 et connaissait une croissance
principalement due aux exportations. Avec la déclaration de la guerre, cette production décroît
précipitamment, du fait de l’arrêt des exportations 17 , de la réquisition des systèmes de transport
et de la mobilisation, même si de nombreuses femmes travaillaient pour cette industrie. La
production décroit ainsi de moitié en quatre ans, pour atteindre environ 50 millions de bouteilles
à la fin de la guerre (Eisenbach 2004, p. 197 et 219). À partir de 1916, la production est soutenue
par l’approvisionnement de l’armée en eaux minérales et par la mise en place d’un système de
subvention par la Fédération allemande des eaux minérales (Deutsche Mineralbrunnen-Verband).
Pour chaque bouteille remplie, une aide d’un Pfennig était reversée à l’entreprise par l’association,
si la production était inférieure à 10 % de celle de l’année précédente. Les 19 et 20 octobre 1917,
lors de la Journée de l’eau (Brunnentag), l’Association impériale allemande des eaux minérales est
créée à Cologne (Reichsverband Deutscher Mineralbrunnen) (Eisenbach 2004, p. 198-199). Elle
regroupe 59 entreprises qui représentent environ 80 % du marché en Allemagne. En novembre 1917,
à Francfort-sur-le-Main, 26 entreprises de la région du Rhin et de Hesse fusionnent pour créer la
Centrale de l’eau allemande (Deutsche Brunnen-Zentrale).
Les bouteilles d’eaux minérales sont fréquentes dans les dépotoirs, les médecins militaires
interdisant la consommation de l’eau se trouvant sur le terrain par crainte de la pollution du champ
de bataille et du risque de typhoïde (Lesjean 2008, p. 58-59). À Aspach-Carspach, un bouchon en
porcelaine provient d’une bouteille d’eau minérale de Romanswiller (« Romanswiller Mineralquelle
Vogesia ») près de Wasselonne (Bas‐Rhin). À Geispolsheim, les eaux minérales proviennent de
Basse-Alsace (Fig. 1, A et I-K). Une capsule en porcelaine avec levier de fermeture métallique
(Ringmündung für Hebelverschluss) appartient à une bouteille d’eau minérale gazeuse provenant
de la source « Badbronn » à Châtenois (Bas-Rhin) (« Brunnenverwaltung Badbronn Kestenholz
Elsa[ß] ») (Fig. 1, I) 18 . L’eau de cette source est embouteillée à partir de 1910 par la « Badbronner
Mineralbrunnen Gesellschaft » et sa production cessa peu de temps après la fin de la guerre. Pendant
la Première Guerre mondiale, les installations thermales mitoyennes sont réquisitionnées par les
troupes allemandes pour servir d’hôpital militaire (Feldlazarett 32). La production d’eau minérale
continua pendant le conflit probablement avec l’aide des soldats eux-mêmes 19 . À Geispolsheim,
d’autres bouteilles proviennent des entreprises bas-rhinoises « Guth » à Illkirch-Graffenstaden et
« Nuss » à Molsheim (Fig. 1, J-K).
(10) « Brasserie allemande du Paraguay - Asunción. »
(11) « Brasserie Nationale - Caracas - 1/3 litre – Grand prix : San Luis 1904-Turin 1912. »
(12) « À ta santé camarade ! », « Mort éloigne-toi de moi ! Mieux vaut de l’eau de vie qu’une mauvaise bière ! »...
(13) Ce type de récipient sera développé dans la partie concernant les eaux minérales.
(14) Pour connaître le fonctionnement et l’histoire de ces différents systèmes de fermeture, voir Kühles 1947 et Eisenbach 2004,
p. 176-181.
(15) Le système de fermeture à capsule en porcelaine (Flashenverschlüsse aus Porzellan) a été développé en Allemagne en
1875 et la capsule dentelée métallique en 1900 d’après un brevet américain déposé en 1892 (Kronkorken) (Eisenbach 2004,
p. 176-178). Une fine couche de liège empêchait le contact du métal avec la boisson.
(16) Le chiffre de 125 présenté dans l’inventaire de Hans Staffelstein (Staffelstein 1909) a été complété par les travaux d’Ulrich
Eisenbach (Eisenbach 2004, p. 156-161). On en notera par exemple 19 en Bavière, 8 en Bade, 7 en Wurtemberg, 6 en
Alsace-Lorraine... La plus grande concentration se trouve dans les régions montagneuses du Rhin moyen entre Cologne et
Francfort-sur-le-Main (Hunsrück, Eifel et Taunus).
(17) En 1914, les exportations annuelles atteignaient 450 000 hectolitres contre 50 000 hectolitres en 1920 .

Les boissons non alcoolisées
Les bouteilles en verre de soda, de limonade et autres boissons non alcoolisées sont bien
attestées. En Allemagne, l’industrialisation de la production de limonade se développe à la fin du
XIX e siècle. Jusqu’en 1914, sa production ne dépasse pas 10 % du chiffre d’affaire des entreprises
liées à l’embouteillage de l’eau (Eisenbach 2004, p. 212-217).
Plusieurs capsules en porcelaines avec levier de fermeture métallique portant l’inscription
« Chabeso » ont été retrouvées à Geispolsheim (Bas-Rhin) (Fig. 1, L). Le Chabeso est une boisson
non alcoolisée correspondant à une limonade d’acide lactique (Milchsäurehaltige Limonade)
associée à des fruits aromatiques 20 . La boisson apparaît en Allemagne peu de temps avant la Première
Guerre mondiale et connaît un véritable succès en 1914. Son origine est basée sur l’observation des
effets de l’acide lactique sur la durée de vie des Bulgares et des Roumains 21 . Cette boisson pouvait
être mélangée à du soda, du jus de fruit, du vin ou de la bière. La devise était « Chabeso für die
Volksgesundheit » (Chabeso pour la santé publique). Il y eu jusqu’à cinquante-sept fabriques de
Chabeso en Allemagne et des usines furent implantées en Belgique, au Luxembourg, aux États-Unis,
au Pérou, en Argentine, en Egypte et d’autres pays orientaux.
Les bouteilles à bille (Flasche mit Kugelverschluss) sont un type particulier de contenant en
verre épais destiné aux boissons gazeuses, principalement la limonade, mais aussi l’eau minérale
(Eisenbach 2004, p. 180 ; Desfossés et alii 2008, p. 48 ; Landolt et alii 2008, p. 51-53 ; Lesjean
2008, p. 52-56) (Fig. 2). Elles possèdent un profil singulier pour une contenance moyenne. La bille
en verre, prisonnière par un étranglement à la base du goulot, joue le rôle de bouchon 22 . Le gaz
carbonique sous pression contenu dans la boisson maintenait la bille à l’extrémité du goulot 23 . Le
témoignage du médecin-major français Forestier, lors de la conquête du Mont Cornillet (Marne) sur
le front de Champagne le 20 mai 1917, illustre cette hypothèse. Le soldat raconte une reconnaissance
à l’intérieur d’un tunnel : « Parmi les caisses amoncelées, j’aperçois des bouteilles d’eau gazeuse, nous
mourons de soif ; je presse sur la bille et bois avec délice. Un Mot interditétendu à terre a entendu le bruit
et dit faiblement « zum trinken » ; apitoyé, je lui tends la bouteille et goulûment, il la vide d’un seul
trait » (Grenouilleau 2005). L’inclinaison horizontale de la bouteille permet de vider complètement la
bouteille, car la bille, entraînée vers le goulot, se trouve retenue entre deux ergots situés à proximité
du goulot. Par contre, une inclinaison quasi verticale de la bouteille piège systématiquement la bille
dans le goulot et empêche tout écoulement : on peut ainsi arriver à obtenir un débit du liquide par
doses plus ou moins égales, en fonction de la rapidité de l’inclinaison de la bouteille. Un cliché
exceptionnel montre l’utilisation de bouteilles à bille par des soldats saxons au repos en Champagne
pendant la bataille des « Monts de Champagne » en avril 1917 (Fig. 2, A) 24 .
Il faut souligner l’existence de ces bouteilles en Angleterre dès la fin du XIX e siècle pour des
sodas et des boissons gazeuses. L’existence de tire-bouchon possédant un système permettant
l’ouverture de ce type de bouteille est attestée en Angleterre 25 . Les troupes britanniques les utilisent
en France pendant la Grande Guerre. Côté allemand, plusieurs variantes de bouteilles à bille sont
recensées, en fonction de leur contenance, moulure, couleur et inscriptions (Fig. 2, B-E). Elles
sont majoritairement non décorées et non inscrites, comme pour l’exemplaire alsacien d’Aspach-
Carspach (Landolt et alii 2008, p. 51-53) (Fig. 2, E). Une étiquette collée indiquait la provenance
et le type de boisson. Un exemplaire de bouteille retrouvé en Champagne, présentant une partie
supérieure de forme atypique, provient de Dresde (Saxe) (« Deutsche Limonaden Fabrik - Otto Boyde -
Dresden »). Pour les exemplaires allemands, plusieurs zones de productions ont déjà été identifiées :
l’Allemagne et les pays d’Amérique latine (Argentine, Brésil, Chili et Pérou) 26 qui diffusait ses
productions essentiellement vers l’Allemagne avant la guerre (Fig. 2, B-C). Les bouteilles à bille
sont encore utilisées de nos jours au Japon pour une boisson gazeuse aromatisée non alcoolisée
appelée « Ramune » qui est diffusée aux Etats-Unis 27 . La boisson était très populaire dans la marine
impériale japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale.
Les bouteilles à bille se rencontrent plus fréquemment dans les positions allemandes aménagées
à partir de la fin de 1916 et du début de 1917 jusqu’à la fin de la guerre. L’hypothèse de leur diffusion
dans les secteurs où l’eau était naturellement rare doit être vérifiée à travers le développement
de l’étude archéologique des dépotoirs 28 . En effet, elles sont très courantes en 1917 sur le front
champenois notamment dans le tunnel du Mont Cornillet (Marne) qui abritait plus de 600 soldats
allemands. Par contre, en Argonne et au « Chemin des Dames » (Aisne), elles sont moins répandues
à la même période, probablement en raison d’autres sources d’approvisionnement en eau.
2. Les aliments d’origine animale
La viande et ses dérivés

La viande est un des principaux aliments consommés par les combattants. La ration quotidienne
du soldat allemand était théoriquement de 375 g de viande fraîche ou salée (Bour et alii 2008, p. 17).
Son conditionnement en boîte métallique est très répandu, principalement sous la forme de bœuf
en sauce (Lesjean 2008, p. 39-41) (Fig. 3, A-B). Les boîtes de viande distribuées par les armées
sont souvent considérées comme des vivres de réserve et leur consommation se fait sur ordre du
commandement lorsque les combats ne permettent pas un acheminement régulier de la nourriture.
Pendant les périodes d’accalmie du front, les corvées permettent l’approvisionnement en aliments
frais. Leur préparation ne produit pratiquement pas de déchets d’emballage si ce n’est des restes
osseux. Les études archéozoologiques apportent de nombreuses informations inédites, mais ce type
d’approche demeure encore trop rare pour cette période. À Aspach-Carspach, une étude a été menée
sur plus de deux cent restes issus d’un même dépotoir (Landolt et alii 2008, p. 43-51 ; Lesjean 2008,
p. 85-87). La grande majorité des os appartiennent au bœuf (92,4 %), le reste se partageant entre le
porc (4,8 %), le mouton (1,4 %) et la poule (1,4 %).
Les animaux destinés à la consommation provenaient d’élevages implantés à l’arrière. La viande
de porc est parfois surnommée « Marmelade-Ersatz », c’est à dire « marmelade de remplacement »
par le troupier allemand (Fombaron et Horter 2004, p. 171). A partir de 1917, quand les conditions
le permettent, les Allemands découpent et consomment systématiquement les chevaux victimes du
champ de bataille. L’étude des traces de découpe nous renseigne sur les techniques militaires de
boucherie. La consommation d’animaux de grande ou de moyenne taille est attestée et les ossements
issus des parties les plus charnues de l’animal sont les plus fréquentes (pattes, cuisses, épaules,
côtes...). Les autres parties anatomiques sont rares et font peut-être l’objet d’une transformation en
charcuterie demandant plus de préparation (pâté, fromage de tête...). Celle-ci constitue un appoint
important de l’alimentation du soldat allemand car elle n’a pas besoin d’être réchauffée. Les terrines
à couvercle en faïence, de différentes tailles et de différents modèles, destinées à accueillir des pâtés,
de la margarine et d’autres graisses alimentaires, sont parfois retrouvées dans les dépotoirs. Certains
modèles ornés de têtes de lions ont été produits à Sarreguemines (Moselle). Une terrine en faïence
provenant de Schiltigheim (Bas-Rhin), présentant encore son étiquette en papier collé contenant du
foie gras d’oie agrémenté de truffe du Périgord, a été identifiée sur le front champenois (« Gänseleber
Terrin Perigord Truffel, Aug. Michel, Schiltigheim-Strassburg ») (Fig. 5, K).
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Fig. 3 : Contenants alimentaires provenant du front champenois (A-I) et d’Aspach-Carspach (Haut-Rhin) (J-K)
(Photos et DAO : M. Landolts et F. Lesjean) (collection F. Lesjean sauf J-K). A-B : Viande en boîte de conserve.
C : Hareng Bismarck. D : Petits pois extrafins en boîte de conserve conditionnés à Metz (Moselle) par la firme
« E. Moitrier ». E : Roquefort en boîte de conserve de la marque « Edelweiß ». F-G : Camenbert en boîte de conserve
de la marque « Edelweiß ». H : Boîte de bouillon de la marque « Maggi ». I : Bouteille d’arôme « Maggi ».
J-K : Bouteille graduées de concentré de vinaigre (Essigessenz).

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